mercredi 6 juin 2018

Maroc: un drôle de boycott qui dure






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marocleaks
 
Parti d'une fake news sur le net il y a près de deux mois, le 20 avril, lancée par des anonymes, l'appel au boycott de trois marques bien connues des marocains, Afriquia (stations essence), Centrale Laitière Danone ( lait, yaourts) et Sidi Ali (eaux minérales) s'est très rapidement imposé dans tout le Royaume.
L'objectif affiché par les boycotteurs était au départ de protester contre la cherté des produits, les augmentations "insensées" qu'ils leur ont attribuées.

La campagne de boycott relayée sur les réseaux sociaux s'est répandue comme un nuage de criquet au point de toucher toutes les classes sociales et toutes les générations de marocains.
Voilà donc la preuve qu'un boycott peut fonctionner et qu'il peut être une arme efficace avec pour résultat visible des stations Afriquia désertes, un transfert vers d'autres marques d'eaux minérales et un effondrement de la rentabilité de Danone (-150 millions de dirhams depuis le début du boycott).

Ceci étant dit des questions se posent car les arguments initiaux  affichés par ceux qui ont lancé le boycott ne résistent pas à la réalité des faits et chiffres.

Depuis la décompensations du prix des carburants et les incessants yoyo des prix à la pompe il se trouve que les stations Afriquia ne sont pas celles où les prix sont les plus élevés. 
Pour les produits laitiers ou les eaux minérales il suffit de se rendre dans le premier supermarché venu pour constater que les tarifs des produits des différentes marques et à quelques centimes près sont quasi identiques et surtout qu'ils sont loin d'avoir subi une inflation anormale contrairement aux tomates et autres fruits et légumes en cette période de ramadan !

Pendant que ce mouvement de grève des achats se développait sans faiblir, au niveau politique ou à celui des entreprises concernées c'est l'atonie et le silence qui ont prévalus. Les rares politiques qui se sont exprimés au début ont été surtout méprisants envers le peuple des boycotteurs.

Seule la patronne de la Société des Eaux d'Oulmes, propriétaire de la marque Sidi Ali, a rapidement réagi en communiquant sur la réalité économique de ses prix (taxes et investissements compris) et a démontré que les prix pratiqués ne pouvaient être inférieurs et ne dégageaient qu'une très faible marge à l'industriel.

Du côté de la Centrale Laitière, filiale à 100% de Danone France la réaction a de quoi surprendre. Dans un premier temps: silence radio, Danone fait l'autruche comme si elle ne croyait pas dans l'efficacité de cette protestation qui allait s'éteindre comme un feu de paille sous l'averse.
En France ce genre de phénomène aurait entrainé sans délai la création d'une cellule de crise et les experts en image se seraient attelés à la tâche pour gérer la situation.
La réaction de Danone Maroc la plus visible mais aussi la plus nuisible en terme d'image a été d'annoncer la baisse de 30% de ses achats de lait auprès des pauvres éleveurs, le licenciement de plusieurs centaines d'intérimaires en ce mois de ramadan et pour finir par annoncer un "profit warning" de 150 millions de dirhams ! Comme si elle s'attendait à faire pleurer les boycotteurs sur ses pertes financières.

Quant à Afriquia....... rien, aucune réaction, aucune campagne de presse menée. Il est vrai que ce cas est un peu particulier car son patron est M. Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture ce qui est plus difficile à gérer.

Pourquoi ce boycott rencontre-t-il un tel succès ? Parce que c'est un mode de contestation efficace et sans risque pour les participants contrairement à un mouvement populaire qui s'exprimerait dans les rues et qui serait rapidement réprimé. L'exemple du mouvement qui a touché le Rif l'an dernier qui s'est soldé par de nombreuses arrestations et des procès en rafale a fait réfléchir les marocains. L'utilisation des réseaux sociaux comme support de revendication apparaît donc comme moins risqué. il permet aux citoyens lambdas de manifester par le porte monnaie.  

Dont acte ! Encore faudrait-il ne pas se tromper de cible.

Car le vrai problème au Maroc en ce moment n'est pas que le prix de la Sidi Ali ait augmenté de 1 dhs en 10 ans, ni que le yaourt ait augmenté de 50 centimes. Tout le monde peut comprendre que les industriels répercutent sur le consommateur leurs coûts de production qui eux sont dans la spirale inflationniste. La libéralisation des prix des carburants et leur augmentation ont comme conséquence un surcoût évident pour les transports.

Le problème est l'aggravation de la situation sociale des classes moyennes et des pauvres qui ne cesse de se dégrader. L'écart entre les plus riches (moins de 5% de la population) et les plus pauvres ne cesse de se creuser (ce n'est pas propre au Maroc).

Le problème réside aussi dans le fait que la classe politique dans son ensemble ne porte aucun message d'espoir, ne semble avoir aucune vision sociale qui permette à la majorité des marocains de "rêver" à un avenir meilleur.

Les réseaux sociaux se sont enflammés ces derniers jours pour la nouvelle cible du boycott qui vise cette fois-ci le festival de musique "Mawazine" de Rabat sous le prétexte que des millions de dirhams vont servir à rémunérer les vedettes qui animeront Mawazine au lieu d'être distribués au plus pauvres.

Erreur de cible là encore car ce festival ne reçoit aucune subvention publique, il est exclusivement financé par des capitaux privés et de plus les retombées économiques sont une bouffée d'oxygène pour la ville de Rabat qui l'organise.

Aujourd'hui il est difficile de prédire ce que ce mouvement "d'humeur" va devenir mais il est clair que vu le succès populaire de cette action il est appelé à se reproduire avec tous les dangers qu'il comporte de part son côté spontané, irraisonné, passionnel.

L'arme du boycott peut être redoutable (il n'y a qu'à voir ce que cela donne quand ce sont des états qui décrètent un boycott envers d'autres états) mais comme pour toute arme il serait utile d'apprendre à la manier avec intelligence et discernement.